Xavier Bonane Ya Nganzi : « 62 ans après l’indépendance, nous avons transformé la RDC en un vaste restaurant où tout le monde vient chercher à manger dans les institutions de la République »(Interview)
Ancien journaliste professionnel ayant rangé sa plume depuis plusieurs années, Xavier Bonane Ya Nganzi est actuellement un acteur politique majeur en République Démocratique du Congo. Il siège présentement à l’Assemblée nationale en tant que député national, élu du territoire de Dungu, dans la province du Haut-Uele, pour le compte du PPRD, parti membre du Front Commun pour le Congo, famille politique de l’ancien Chef de l’État congolais, Joseph Kabila Kabange. Dans un entretien avec nos reporters, l’Honorable Xavier Bonane Ya Nganzi a fait le point sur les différentes questions d’actualité, notamment le rapport des vacances parlementaires, l’état des lieux de la situation qui prévaut dans le Congo profond, le bilan de 62 ans d’indépendance de la RDC et sans oublier l’avenir politique du FCC resté fidèle à Joseph Kabila.
Honorable Xavier Bonane Ya Nganzi, vous avez présidé pour la deuxième fois d’affilée la Commission Spéciale et Temporaire de l’Assemblée nationale chargée d’examiner les différents rapports des vacances parlementaires présentés par les députés nationaux, pouvez-vous nous faire l’économie du rapport que vous aviez dernièrement présenté à ce sujet devant la plénière de votre Chambre législative ?
Xavier Bonane : Je dois d’abord vous rappeler que les travaux à l’Assemblée nationale sont organisés conformément à la constitution. Entre chacune de ses sessions, nous avons les vacances parlementaires, qui sont des moments où les députés nationaux vont d’abord rendre compte à sa population, à sa base du travail qu’il fait au niveau de l’Assemblée nationale. Mais aussi pendant la même période (c’est la période la plus importante pour un député), le député a l’obligation de recueillir, de recolter, d’écouter et d’enregistrer les doléances de sa population, les problèmes majeurs qui se posent dans sa circonscription électorale ainsi que les propositions que nos populations font dans la résolution de la problématique du développement de nos entités.
Donc, pendant cette période, le député ramène les données et les informations ainsi recueilliese au niveau de l’Assemblée nationale.
Et conformément à notre Règlement intérieur nationale, les différents rapports produits par les 500 députés nationaux sont rassemblés dans les 15 jours qui suivent la rentrée des vacances parlementaires. Chaque député a donc l’obligation de déposer dans le Bureau de l’Assemblée nationale son rapport.
Et le Règlement intérieur prévoit la création d’une Commission Spéciale et temporaire qui est chargée d’analyser chacun de ces rapports, d’en faire une synthèse. Une fois que cette synthèse est adoptée par la Plénière, les résolutions, les recommandations, contenues dans cette synthèse, sont transmis aux autres institutions, notamment le Gouvernement, pour trouver des solutions aux problèmes posés.
*Après avoir compilé les différentes synthèses des rapports des vacances parlementaires, quel genre de problèmes rencontre-t-on généralement dans les différentes provinces de la RDC ?*
Xavier Bonane :
Primo, nous avons des problèmes qui sont liés à l’administration du territoire, qui sont des problèmes d’ordre politique et administratif. L’administration du territoire, le fonctionnement de nos entités, de nos provinces, de nos territoires, de ce qu’on appelle les entités décentralisées, c’est-à-dire, les collectivités, les secteurs, les groupements, les localités et les villages. Aujourd’hui dans notre pays, le député est l’unique personnalité politique qui a l’avantage d’être réellement sur terrain. Il est dans les villages, dans les collectivités, dans les territoires, dans les provinces. Le député est donc le principal témoin et acteur de la vie sociale de notre pays.
En effet, il y a énormément des problèmes dans nos entités. Depuis que nous avons procédé au démembrement, des provinces et à la décentralisation, les administrateurs du territoire, dans tous les territoires de la République, ne sont pas payés. Ils n’ont pas de salaire, ils n’ont pas des frais de fonctionnement. Que dire alors pour les chefs de chefferies, les chefs de collectivités et les chefs de groupement, les chefs de localité. Ils ne sont pas du tout pris en charge par la République. Ça c’est une difficulté majeure.
Sur le plan administratif toujours, quel est l’état des lieux des infrastructures, de nos bureaux administratifs, quel est l’état des lieux de nos prisons, quel est le fonctionnement de la justice ? Est-ce qu’il y a des tribunaux de paix dans tous les territoires ? Non, comment la justice est-elle alors distribuée ? Voilà, ça c’est un problème qui est lié à l’administration du territoire et également à l’aménagement du territoire.
Secundo, il y a également des problèmes à caractère économique, à savoir, le développement à la base. Quel est l’état des lieux de nos infrastructures routières, des infrastructures scolaires, sanitaires, ainsi de suite.
Et tertio, nous avons des problèmes d’ordre social, culturel et même sportif.
Comparativement au premier rapport de votre Commission chargée d’examiner les rapports des vacances parlementaires, aviez-vous noté une certaine amélioration de la situation dans le Congo profond ou une prise en charge des problèmes rencontrés par la population ?
Xavier Bonane :
Je dois avouer qu’il y a plutôt eu dégradation. Il est vrai que les problèmes sont presque les mêmes dans toutes les circonscriptions et dans tous les domaines que nous avons répertorié. Nous n’avons pas noté des réponses significatives aux problèmes qui ont été posés.
Lorsque nous prenons, par exemple, le problème de sécurité, en ce qui concerne les groupes armés et les rébellions, notamment dans la partie orientale de notre pays (le Sud-Kivu, le Nord-Kivu, le Haut-Uele, le Bas-Uele, tout le versant jusque dans le Tanganyika). Lorsque nous avons fait le précédent rapport, il n’y avait pas état de siège. Entre le premier rapport et le deuxième rapport, il y a la mise en place de l’état de siège. Y-a-t-il eu évolution ou dégradation de la situation ? Si il y a état de siège, ce qu’il y a eu dégradation.
Il y a des propositions qui ont été faites aux ministères sectoriels, notamment le ministère de l’intérieur, le ministère de la Défense, en ce qui concerne la situation de nos forces de sécurité, les FARDC, la Police Nationale Congolaise, leur prise en charge dans les provinces, leurs effectifs sur les champs des opérations.
Donc, il y a eu recul. Quand bien même les problèmes ont été pris en charge, notamment dans le programme de développement des 145 territoires, qui a repris un certain nombre d’aspects répertoriés dans notre rapport, mais ledit programme est encore sur papier et n’est pas encore mis en exécution jusqu’à maintenant.
Concernant par exemple les routes, chez moi, dans le Haut-Uele, c’est maintenant la grande saison de pluie, et la circulation sur les routes devient difficile. C’est le moment aussi que choisissent les groupes armés pour intensifier leurs activités, etc.
Vous venez de relever les grands problèmes qui se posent dans le Congo profond et on l’on note une dégradation de la situation. Comment expliquez-vous que, 62 ans après l’indépendance, les congolais n’ont pas fait mieux que les colonisateurs belges en matière de gouvernance et de développement de leur pays ?
Xavier Bonane :
Moi, je voudrais dire que, en 62 ans d’indépendance, notre bilan est négatif si pas catastrophique. Qu’avons-nous fait de ce pays, la République Démocratique du Congo ?
Et lorsque les analystes, économistes, les sociologues, etc. comparent le niveau de vie des congolais en 1960, au niveau de vie des congolais aujourd’hui, par rapport aux indices de développement humain, je constate que nous avons développé la pauvreté.
En effet, sur les 26 provinces de la RDC, plus de 20 provinces vivent sous le seuil de la pauvreté et peut-être 5 ou 6 provinces sortent un peu du lot.
Alors cela pose la problématique de l’homme congolais. Cela pose la problématique de nous, les élites, les intellectuels. En fait, moi, je suis député, je suis membre du gouvernement, je suis Président de la République et vous voyez comment les élites se battent pour occuper ces différents postes. Mais on se pose la question : pourquoi faire si la situation est celle-là ?
Et plus on se succède, plus on se ressemble, plus la situation se dégrade.
Et c’est vraiment la grande désolation: *On a transformé le pays en un vaste restaurant où tout le monde vient chercher à manger* et ne se pose pas la question, à la cuisine du restaurant, comment les choses se passent, comment fait-on pour que la nourriture arrive dans le restaurant, comment les techniciens de ce restaurant sont là-bas ?
Et voilà, 62 après, je pense que nous n’avons pas été à la hauteur des défis et des enjeux de développement de notre pays, la République Démocratique du Congo.
Et comment alors s’en sortir ? Faut-il un leadership fort ou une révolution des mentalités ?
Xavier Bonane :
Il faut un sursaut d’orgueil, il faut un saut épistémologique face à la situation pour dépasser nos propres limites afin de proposer des solutions. Et puis, il faut un décollage conceptuel, parce que *les congolais vivent au Congo comme dans un pays de transition pour aller vers le mieux-être, qui se trouve nécessairement ailleurs, et pas chez eux.* Alors, que faisons-nous dès que nous aurons fait ce saut existentiel, nous aurons pris conscience que cet endroit ici, que ce pays, la République Démocratique du Congo, que Dieu nous a donné la mission de le développer ? Ce serait déjà un pas de géant.
Quel état des lieux faîtes-vous de la situation dans laquelle vivent vos électeurs de Dungu, votre fief électoral ?
Xavier Bonane :
Ma circonscription électorale, le territoire de Dungu, se trouve tout à fait excentré au Nord de la République, en frontière avec le Soudan du Sud et la République Centrafricaine. Le territoire de Dungu fait face essentiellement à des problèmes de sécurité. C’est là-bas qu’on trouve des terroristes qu’on appelle les LRA, qui sont des rebelles ougandais, qui ont traversé la frontière et qui sont chez nous depuis des dizaines d’années.
C’est là où on trouve aussi les Mbororo, qui sont des éleveurs nomades terroristes qui occupent les espaces avec leurs bétails.
A Dungu, l’Etat est désarmé.
Par exemple, lorsque vous partez de Dungu pour aller vers Doruma, vous êtes à l’intérieur d’un même territoire, c’est 210 kilomètres. Et moi, je suis allé à Doruma et je n’ai pu y arriver qu’avec un petit porteur de notre diocèse de Dungu-Doruma. Parce que c’est un territoire totalement enclavé et lorsque vous arrivez à la frontière avec le Sud-Soudan, il n’y a qu’une dizaine d’éléments des FARDC et un seul policier qu’on appelle Commandant. Et lorsque je l’ai salué « Commandant », alors il m’a répondu de manière humoristique : « Moi, je n’aime pas qu’on m’appelle Commandant, parce que je n’ai pas des troupes ; appelez-moi plutôt Représentant de la Police Nationale Congolaise.
Donc, la population de ce coin de la République fait face à situation très difficile. Les routes qui sont là-bas n’ont jamais été réhabilitées, les infrastructures scolaires datent de 1955, la même chose pour les hôpitaux et les centres de santé. Et ajouter à cela, l’absence des réponses de l’État.
C’est ce qui nous met dans une situation d’impuissance. Mais on ne se décourage pas, parce que, contrairement à nous les élites qui sommes ici dans la capitale, la population a développé le mécanisme de subsistance. Les gens se sont pas déclarés morts ou vaincus par la misère. Ils ont développé un comportement qui fait qu’ils prennent les choses du bon côté, ils donnent des solutions localement parlant. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut que les technostructures de l’État viennent au secours de cette population qui ne peut pas construire des routes sur 200 kilomètres, qui ne peut pas installer les antennes de télécommunication, les centres de santé ou les hôpitaux.
Donc, il faut qu’il y ait intervention l’État, pas seulement l’Etat central mais également l’Etat provincial.
Comment aviez-vous choisi de rester fidèle à Joseph Kabila Kabange alors que les autres sociétaires du FCC ont traversé le fleuve avec armes et bagages pour le camp adverse ?
Xavier Bonane :
Premièrement, moi, je suis élu du PPRD pour le territoire de Dungu. Et le PPRD est membre du Front Commun pour le Congo.
Aujourd’hui, nous sommes en 2022. Le coup d’État institutionnel qui a fait basculer la majorité s’est produit le 10 décembre 2020. Donc, ça fait deux ans. Je voudrais que vous posiez cette question à nos collègues qui ont traversé avec armes et bagages, si la solution qu’ils cherchaient, est-ce qu’ils l’ont trouvée, deux ans après, de l’autre côté de la rivière où les herbes sont vertes ?
Mais, nous, nous ne sommes pas au PPRD par opportunisme, nous y sommes par conviction. Nous croyons foncièrement à la démocratie et que nous pouvons exercer la démocratie dans notre pays, selon les règles. *Il n’est pas possible que, sans élections, une majorité change en cours de législature. C’est un coup d’État institutionnel*. Et l’objectif de coup, c’etait de neutraliser le Front Commun pour le Congo, de neutraliser le PPRD essentiellement. Et aujourd’hui, Dieu merci, nous sommes là et déterminés plus que jamais à reconquérir le pouvoir par des moyens démocratiques. Nous n’allons pas perpétuer les mauvaises habitudes. Nous entendons donc les prochaines élections et nos amis qui ont traversé, peut-être qu’ils ont envie de traverser dans le sens contraire, de revenir, parce que tout ce qu’ils ont reproché au Front Commun pour le Congo, tout ce qu’ils ont cru trouver en traversant, lorsque nous les écoutons parler, on dirait qu’ils ne l »ont pas trouvé.
Alors, nous, nous sommes tout à fait à l’aise. Et dans un système démocratique, il doit y avoir la contradiction, nous ne pouvons pas aller dans des régimes de pensée unique, que nous connaissons bien, car nous avons eu une histoire de parti-Etat ici. Est-ce que tout le monde doit être dans une Union dite Sacrée ? Alors qui va faire la contradiction ? Il faut qu’il y ait action et contre-action ; des idées qui s’entrechoquent. Or, j’ai l’impression que, dans ce regroupement là, il y a plutôt des tendances comme quoi, en dehors de nous, il n’y a pas de vie.
*Quid de ceux qui estiment que, la Kabilie ayant détruit le pays en 18 ans de gestion, vous ne devriez même pas postuler pour les prochaines élections ?*
Xavier Bonane :
On appelle ça rethorique, ce sont des roulements de machines, ils n’ont rien de démocratique.
Le bilan des 62 ans d’indépendance étant négatif, pourquoi voulez-vous singulariser les seuls 18 ans ? Dans ces 62 ans-là, nous tous nous sommes là-dedans ! Chacun à des niveaux divers. Lorsqu’on a fini cette rhétorique qui consiste à dire : vous avez détruit le pays, etc, qu’est-ce qu’on met sur la balance. Comme si le pays a été créé et est devenu indépendant il y a 18 ans.
Et quand on a fini de dire ça, qu’est-ce qu’on fait pour changer ?
Et nous sommes en train d’attendre depuis le 10 décembre 2020 de voir ce qu’on a fait. C’est ça la grande difficulté et c’est ça notre tare politique.
Nous attendons les réponses aux problèmes de la société.
Nous, nous avons des réponses. Il y a 18 ans, la République Démocratique du Congo n’existait pas dans sa dimension territoriale : il y avait la République du RCD-Goma, il y avait la République du MLC, il y a de ce côté ce qu’on appelait le gouvernement. Par quel mécanisme sommes-nous parvenus à faire la réunification du pays ?
– Si on a rien fait, depuis l’accession au pouvoir du Président Joseph Kabila Kabange en 2001, comment un pays qui n’existait pas est-il devenu brusquement un pays où l’on a fait une remise démocratique et civilisée du pouvoir avec l’actuel Chef de l’État ?Comment ça s’est passé si l’on a tout détruit ?
– Comment ce pays qui n’existait pas a-t-il fait pour vaincre la première guerre mondiale de l’Afrique ? Il y avait plus de 12 pays ici qui était en guerre ?
– Comment est-on arrivé avoir une armée classée 8ème dans le continent africain ?
– Si rien n’a été fait, comment on est arrivé à avoir une constitution ? ; comment sommes-nous arrivé à avoir le 3ème cycle électoral et nous nous préparons à un 4ème cycle ?
Et je note que le débat est tout à fait antidémocratique. De quel droit un citoyen peut empêcher un autre citoyen de parler, d’avoir son opinion, d’avoir un mot à dire sur la conduite de la République, cela tout en prétendant respecter la constitution ?
*Est-ce que, dans vos projets d’avenir, comptez-vous postuler de nouveau lors des prochaines élections législatives de 2023 dans votre fief de Dungu ?*
Xavier Bonane :
C’est mon parti politique, le PPRD, qui va décider. Et de toutes les façons, lorsque j’écoute mes électeurs chaque matin, dans nos échanges, je n’aurai d’autres choix que répondre à leur appel, au devoir…
*Est-ce que le silence de votre autorité morale, l’ancien Président de la République Joseph Kabila Kabange, ne vous met pas mal à l’aise en tant que FCC*
Xavier Bonane :
Quel silence ? Nous, nous parlons avec lui. Notre autorité morale, Joseph Kabila Kabange, se trouve à Lubumbashi et il ne fait que recevoir tous les jours. Il est là en communion parfaite avec la population congolaise. Le silence, c’est dans le brouhaha de 50 chaînes de télévision de Kinshasa !
En tout cas, nous, nous sommes en contact permanent avec lui et la population dans sa plus simple expression est en contact avec lui.
Et on dit que pendant 18 ans, il n’a rien fait, si on suit la rhétorique ambiante, comment va-t-il alors s’adresser à la population, lui qui n’a même plus droit à la parole?
Propos recueillis par JR.Mokolo Mololo Mbeka Lingobi